CAN AM RACING 1972
in FRENCH

Ce!a fait déjà longtemps que je voulais courir la Canam, mais mes VCEUX n'avaient pu être exaucés pour un tas de raisons. Pour finir, c'est un peu par hasard que cela s'est fait, grâce à Mme Young qui a racheté les deux McLaren qui portaient les couleurs de J'usine J'an passé, avec le succès que l'on sait. Elle voulait faire courir son fils Gregg et un autre pilote. L'ùn des mécaniciens de son équipe, François Sicart, est un Français, un ancien de Matra, où il s'occupait de la voiture de Jo Schlesser. Il a téléphoné à, Sport-Auto à Paris pour tenter de m'y joindre, (mes relations avec Sport-Auto sont apparemment connues dans le monde entier!). C'est ainsi que je suis, entré en rapport avec Mme Young par J'intermédiaire de mon' représentant, américain et J'affaire s'est heureusement conclue. Les contrats que j'avais signés au préalable pour Le Mans et les courses en F2 avec John Coombs m'empêchent de faire toute la série, mais j'étais heureux de cette occasion de prendre contact avec la Canam, pour pouvoir éventuellement m y consacrer J'année prochaine en toute connaissance de cause, avec un maximum de chances de bien my comporter.                             

C'est donc à Road-Atlanta que j'ai débuté sur la McLaren repeinte en bleu, qui n'avait plus couru depuis qu'elle avait remporté le championnat J'an passé aux mains de Revson. Le lendemain du Grand Prix de France, je me suis envolé pour Atlanta d'où une voiture m'a emmené à Gainesville, où se trouve le circuit de Road-Atlanta, en Georgie.

En pleine campagne, ce petit tracé 'de' 3,5 km est très ondulé; il rappelle un peu le Mont Tremblant. La sécurité m'y a un peu déçu; je m'attendais à mieux aux États-Unis. Dès le mardi, j'étais au volant, mais alors là, quelle déception! J'étais venu, goûter J'orgie de puissance, l'accélération spatiale et tout ce que l'on associe au nom de Canam et voilà que ça ne « poussait» pas, mais pas du tout. Comme je tournais dans les temps du \record du tour de J'an passé, j'avais de la peine à convaincre mes mécaniciens que le mo­teur ne donnait pas toute sa puissance: La piste étant fermée mercredi, les essais ont repris jeudi mais j'ai tout de suite cassé le moteur.                                                 

Essais officiels le vendredi avec un nouveau moteur: il ne pousse pas plusl Finalement, après de nombreux essais de magnéto, de distributeur, des réglages de carburation, les mécaniciens se sont aperçus que le mal venait de la crépine de pompe à huile de vidange' du carter qui désarmorçait. Le carter se remplissait et le vilebrequin baignait dans l'huile. Ils ont fabriqué une nouvelle crépine pour abaisser le niveau et d'un seul coup, fabuleux, j'avais enfin tous mes 750 CV! Alors là, je dois vous dire qu'on est dans un autre monde. Des chevaux, après tout, nous en avons déjà un paquet en Formule 1, souvent même plus que l'on peut en utiliser. Mais sur une Canam, non seulement il y en a presque le double, mais encore la flexibilité est telle qu'on n'a presque pas besoin de changer de vitesses; à partir de 4.000 t/m ça pàrt et on accélère furieusement du début à la fin de la ligne 'droite, sans aucun fléchissement. De ce fait, même sur un circuit aussi petit que celui de Road-Atlanta, on atteint une vitesse de pointe très élevée même sur les plus courtes lignes droites. Le freinage est à la hauteur des performances et la tenue de route m'a agréablement surpris. Certes, ce n'est pas une Formule 1 et on s'en aperçoit surtout dans lefaitque la voiture réagit beaucoup plus lentement aux sollicitations du pilote. Le poids en est très élevé: 800 kilos à vide plus 280 litres d'essence de sorte qu'elle roule dans les virages, mais les pneus Goodyear super-larges (50 cm), donnent une assise en rapport avec la puissance.

La direction est très lourde et l'autre point faible, si l'on veut, c'est le bruit très désagréable du gros moteur V 8.

Les premiers essais officiels :servent à déterminer des groupes de voitures aux performances assez proches que l'on lâchera ensemble pour les séances de qua­lification officielles qui ne durent que vinge minutes. Malgré mesennuis de crépine de pompe à huile, j'ai été délgne, pour la « bonne» série avec la Porsche et les McLaren officielles. Heureusement, parce qu'à l'exception des quelques vedettes, le niveau tant des pilotes que des voitures est terriblement médiocre. J'allais donc participer à la qualification défi­nitive avec un moteur qui marchait enfin, mais hélas, dès le deuxième tour, mon câble d'accélérateur casse. C'est une catastrophe parce que je n'arrive pas à faire un bon chrono dans cette série, je vais partir en dernière ligne derrière tous les traînards quise seront qualifiés devant moi.       

Heureusement, la chance va tourner en ma faveur: Revson explose son moteur ce qui nécessite plusieurs minutes d'interruption pour nettoyer la piste. Cela-va donner à mes mécaniciens le temps de réparer. La piste est féouverte et il me reste sept minutes pour remonter ma place a'u départ. Pour finir, je sUis parvenu quand même à tourner en 1 '15"2, le meilleur temps (1 '14"1 au crédit de Hulme). J'étais 48 derrière Hulme, FolImer, qui remplaçait Donohue sur la Porsche, et Revson. 

Le lendemain, le départ sera donné lancé. Je pars mieux que Revson, mais à l'entrée du premier virage, je le laisse passer: jen'ai pas encore ma voiture suffisamment en mains et je ne veux pas risquer de le retarder: Nous restons roues dans roues deux tours lorsqu'il stoppe en panne d'allumage sur le circuit: nie voilà 38. Je reviens derrière Hulme mais nous sommes tous deux gênés par la Porsche de Follmer qui fait tout pour nous empêcher de passer; il zigzague sur la route et va même jusqu'à allumer ses stops en pleine ligne droite pourtenterde nous retarder. Hulme s'ap­prêtait quand même à le doubler lorsque sa voiture a littéralement décollé devant moi en pleine ligne droite. Ça m'a fait une impression terrible, j'étais persuadé que Hulme ne pourrait pas se tirer indemne d'une telle cabriole. En fait, il n'était que commotionné.

Retardé par l'accident, j'avais pris du retard sur Follmer, environ 300 m, mais vers le 188 tour, j'étais revenu dans ses roues et je cherchais le moyen de le doubler lorsqu'une soupape a cassé sur mon moteur, le mettant hors de combat. Débarrassé de son dernier adversaire, Follmer n'avait plus qu'à terminer à petite allure.

Les Autos:

Porsche

 La 917 -10 TC, (Turbo-Charged), de Donohue a un bon vieil air de famille avec les 917 K Gr 5 de l'an dernier, et les Spyders de l'Intersérie. Pourtant, la 917-10TC est une machine unique, totalement différente des autres, pour la bonne raison qu'avec l'aide de son ordinateur, l'ingénieur Donohue a développé des épures de suspension quelque peu différentes. D'ailleurs la carrosserie adoptés à Mosport diffère totalement de ce qu'on a vu auparavant. De plus, nous l'avons déjà dit, si toute la publicité faite autour de cette voiture concerne le moteur TC, la principale raison de la vitesse de la 917 -10 à Mosport réside ailleurs. Le poids total de la voiture équivaut aux 700 kg des McLaren. Si les coupés 917 étaient un tantinet plus lourds, le « poids-plume» de la Canam représente un effort fantastique en matière de mécanique et e'mploi de matériaux allégés très spéciaux. Certaines pièces sont' extrêmement élaborées : ainsi, les étriers de freins soigneusement ventilés. Pour disposer d'un meilleur potentiel de puissance, tous les ingénieurs pensent qu'il fa'ut employer un moteur plus gros. C'est pourquoi les V8 Chevrolet de 8,1 litres ou 8,3 litres de cylindrée, simples compacts, légers et robustes sont de si bons moteurs, et constituent l'ossature de la Canam. Cependant, développer un tel moteur par ses propres moyens aurait été pour l'usine Porsche prohibitivement cher. De ce fait, on a pensé qu'il serait meilleur d'équiper le flat 12 de 5 litres déjà existant, d'un turbocompresseur. C'est une méthode plus com­plexe bien sûr, plus délicate, mais une chose est sûre: les constructeurs, comme les propriétaires de Porsche, sont des amoureux passionnés de mécaniques élaborées, et cette voiture séduira sans aucun doute tous les « Porsche Lovers ».

L'inconvénient majeur du turbo-compresseur, tout le monde le connaît, c'est le retard qui existe entre la demande de puissance supplémentaire par le pilote, et l'arrivée de cette puissance. Dans les cas extrêmes, comme à Indianapolis, ce retard peut atteindre près d'une seconde. Naturellement, si l'on dispose déjà de quelques 600 cv, comme sur une 917 normale, et que l'on réclame 200 ou 300 cv supplémentaires, (une augmentation de moins de 50 %) la situation est plus favorable. Mais ce n'est pas si simple ainsi que le montre un léger coup d'rei 1 au moteur TC. Bien sûr, l'équipe de Roger Penske essaiera de garder son secret le plus longtemps possible, mais voilà ce qu'une observation minutieuse du moteur permet de déduire.

Chaque banc de 6 cylindres dispose de sa propre alimentation avec intercommunications entre ces deux canalisations, en plusieurs points: les 6 pipes d'échappement par bancs débouchent dans une pipe principale qui alimente une toute petite turbine de fabrication allemande. La pression est régulée par une soupape installée sur l'une des intercommunications entre les deux pipes principales. A une pression pré-déterminée dans le système d'échappement cette soupape s'ouvre et limite la puissance fournie par la turbine. Attelés à chacune des deux turbines, se trouvent deux compresseurs qui aspirent l'air frais par des entrées d'air situées sur la partie supérieure du capotage-moteur, sous l'aileron arrière. L'air comprimé, provenant de ces deux compresseurs, est dirigé vers l'avant et son débit en est semble-t-il réglé par 'une soupape: il arrive dans deux pipes cylindriques, deux longs « tuyaux de poêle», un pour chaque banc de cylindres, et placés au-dessus de ces deux bancs, dans le même axe longitudinal. Dans la partie supérieure de ces deux pipes cylindriques, se trouvent ce qui semblerait être 4 soupapes supplémentaires; il est possible que ce soient des soupapes de sûreté, placées là pour éliminer les risques d'explosion qui feraient éclater la tubulure. Ace point de l'observation, on peut déjà compter 11 soupapes de régulation ou de débit dans le système. A titre d'exemple, un moteur suralimenté'à Indy ne comporte qu'une seule soupape de débit. Les deux « tuyaux de poêle» sont placés de telle sorte que les deux entrées d'air, deux écopes situées derrière le cockpit, et qui, à première vue, paraissent être un carénage autour de la tête du pilote, leur insufflent directement de l'air frais. Sous chacun de ces deux tuyaux se trouvent les six trompettes d'admission, (douze en tout), amenant l'air au moteur, et dont le débit est réglé par des papillons ordinaires; le carburant parvient par un système d'injection Bosch à la base de ces trompettes, juste avant les hauts de cylindres. Le carburant est soigneusement dosépar un régulateur relié à la pompe, à la tringlerie d'accélérateur et au système d'admission. L'élément le plus mystérieux de tout ce système, et qui apparemment fut la cause de la panne de Donohue à Mosport, est constitué par une paire de soupapes, situées éntre la première soupape et ces fameux « tuyaux de poêle », ou pipes cylindriques. Il y a une petite pièce supplémentaire, en forme de T, qui à première vue èontient une soupape papillon susceptible de mettre tout le système à l'air libre, c'est-à-dire de le rendre neutre. Ce papillon est maintenu fermé par un ressort, mais il est relié à la tringlerie d'accélérateur,' de telle sorte que lorsque le pilote lève complètement le pied, les papillons de gaz se ferment et ce petit papillon s'ouvre. Disons qu'il décompresse. Simple question de conjoncture q'ue les lescteurs de Sport-Auto peuvent méditer.1I y a manifestement un effet sur l'action de l'accélérateur, et si par hasard, en course, l'un de ces deux petits papillons se coince, la voiture devient inconduisible, comme l'a dit Donohue.

La liaison Porsche-Penske dure maintenant depuis 3 ans, et il est certàin que leur future voiture sera considérablement modifiée. Le cahier des charges qui a présidé aux destinées de cette première 917-10 TC est loin d'être aussi important que celui qui sera établi dans l'avenir, pour un projet absolument sensationnel, gardé bien au secret; nous espérons qu'au moment où il aboutira, les « faiseurs de règlement» s'abstiendront de l'interdire.

LOLA

T 310: Elle est trop neuve encore, (elle a fait sa 1 r e course à Atlanta), pour que l'on puisse estimer ses performances, mais elle fait montre d'idées intéressantes. Elle est extrêmement longue, large et basse. En fait, il est possible qu'elle soit même trop large pour les réglements 1973 de la F.I.A. Sa conception aérodynamique est complètement différente de la T 260 de l'an dernier. Le nez est très fin, en forme de pelle, pour un maximum de déportance, tandis que l'aileron arrière est directement intégré au.capot arrière. A Atlanta, on pensa qu'il n'était pas assez efficace; aussi, on essaya derelèver sa posi­tion. Curieusement, le châssis de la T 310 se ràpproche beaucoup de celui de la T 270, la voiture d'Indianapolis. Dans certains cas par­ticulier, il est même identique. La grande nouveauté de cette voiture réside néanmoins dans l'adaptation d'un système de servo pour les freins. David Hobbs pensa que ce n'était d'ailleurs pas nécessaire.

McLaren

Victorieuse à Mosport, bien que n'étant pas la voiture la plus rapide, la M20 ressemble, dans sa conception générale, à la série des M8, qui amassèrent tant de succès dans les années précédentes. En revanche, elle en diffère par une multitude de détails qui font d'elle une voiture vraiment nouvelle. Quelques-uns de ses aménagements particuliers sont empruntés à la Lola T 260, malchanceuse mais compétitive, que pilotait Jackie Stewart l'an dernier. Les radiateurs d'eau et d'huile ne sont plus installés à l'avant mais latéralement, au niveau des apaules du pilote, l'air étant canalisé paroles panneaux de carrosse­rie à nervure, de part et d'autre de l'habitacle. Le nez de la voiture, où prenait place autre­fois la prise d'air des radiateurs, s'est transformé maintenant en aileron profilé. Ainsi a été résolu le vieux problème de la M8 : elle était excessivement sous-vireuse, et cette nouvelle conception de l'aérodynamisme avant permettra sans doute d'y remédier sur la M20. Nouveauté également, et comme sur la Lola, on a procédé à un recentrage des masses. La majorité du carburant, environ 300 litres, est contenu dans un réservoir, derrière le siège du pilote. Enfin, et toujours comme sur ta Lola, on a disposé un entretoise en fonte entre le moteur et la transmission, ce qui permet de repousser le moteur, (il pèse 225 kg mais ce n'est pas trop grave puisqu'il développe 750 cv), vers le centre de la voiture.

Toute? ces modifications pourront sans doute satisfaire le culte du dieu actuel des voitures de course: le moment polaire d'inertie. Est-ce que ça marche? Denny Hulme n'est pas encore convaincu: « Peu importe la rapidité et la°rtervosité de êette sacrée voiture, ait-ildécfa'ré, sion n'arrive pas à obtenir: une tënue de route équilibrée», c'est-à-dire une voiture neutre, ni sur ni sous-vireuse.

Comme toutes les McLaren qui l'ont précédée, la M20 est une voiture bien finie, jolie et nette. Elle est de plus robuste, et la grande expérience du team McLaren en matière de Canam promet beaucoup.

A propos du moteur V8 Chevrolet à turbo compresseur, dont on parle beaucoup dans les coulisses de Ia Canam, il a été essayé au banc dans les ateliers de McLaren, mais l'écurie a annoncé qu'elle ne l'utiliserait pas encore en course. Elle a pour l'instant d'autres problèmes à résoudre, et en particulier celui du châssis.   

Shadow

C'est la seule voiture dessinée et réalisée en Amérique pour les courses de cette année. Elle reflète parfaitement la situation actuelle de la haute compétition aux Etats-Unis: tous les hommes qui s'en occupent, la construisent, la mettent au point, la réparent, la conduisent, sont des Anglais. La voiture qui courait à Mosport est celle de l'an dernier, avec un châssis modifié pour recevoir des pneus et des jantes de dimensions standard; (les pneus de l'an dernier avaient été conçus dans un. petit diamètre, mais ils ne donnèrent pas entière satisfaction). Autre modification importante déjà vue l'an dernier: les freins avant sont suspendus.

Les demi-arbres n'ont jamais causé le moindre ennui, et la voiture emploie une boîte de vitesJ sesWeismann, de fabrication américaine, qui

n'eut, elle non plus, aucun problème l'an passé. Cependant, son dessin a été modifié et elle a cassé par deux fois, éliminant Oliver de la course au 6e tour. Avant cela, le directeur d'écurie avait demandé à Jackie de ne pas utiliser son rapport supérieur, parce qu'il pensait qu'il ne tiendrait pas le coup. Cela handicapa Oliver en course. D'ici peu, la Shadow sera probablement équipée d'une boîte Hewland, pour la prochaine épreuve peut-être. La voiture est très proche de la compétitivité et Oliver est un pilote de premier plan; on peu~ s'attendre à ce que ce tandem marche très fort cette saison. Selon les rumeurs en cours, Jacky Ickx rejoindrait bientôt le team, ce qui, en vérité, représenterait un formidable effort.

Author: ArchitectPage